On pousse avec précaution la porte de la grande salle de cet ensemble chaleureux qu'est Lilas en scène, "centre d'échange et de création des arts de la scène" qu'animent Claire Acquart et Philippe Chavanis et toute une équipe extrêmement soudée. C'est un ancien bâtiment industriel reconverti depuis 1998, soit 3000m² connus dans le métier avec 1800m² occupés par des ateliers de construction et 1300m² qui dépendent de l'association de la loi de 1901, "Lilas en scène". On y répète, on y présente des spectacles, on s'y retrouve pour parler, élaborer des projets. Une adresse que l'on se transmet, comme une bonne adresse pour répéter, travailler. Rêver.
Il y a là un esprit. On le comprend en passant la porte, petite porte qui donne sur un dédale de salles. Après une sorte de hall ou de court couverte, la salle des paravents. C'est là que l'on a rendez-vous avec Olivier Brunhes, comédien que l'on connaît bien pour l'avoir vu jouer dans de grandes entreprises artistiques récentes, notamment auprès de Laurent Terzieff.
Il nous a parlé de ces "acteurs extraordinaires", ainsi qu'il les nomme. Une exceptionnelle aventure. Cinq comédiens professionnels, Véronica Beiweis, Isabelle Decroix, Khagan Guilbaud, Blandine Pélissier, jouent en compagnie de huit adultes handicapés mentaux. Sept hommes, Alain, Bernard, Didier, François, Patrick, Pierrot, Rachid et Virginie. Tous vivent dans le même foyer de Montreuil, tous travaillent en CAT (centre d'aide par le travail), tous ont été volontaires pour se mesurer à la discipline du théâtre. "Je sais trop ce que je dois faire au théâtre, dit cet homme sensible et énergique. J'ai grandi dans une cité de Villeneuve-la-Garenne... Trois mille sans beaucoup d'avenir. Un jour, par hasard, dans une fête, une fille m'a parlé du théâtre, du cours Dullin où elle était inscrite... Moi, j'étais coursier. Trois mois plus tard, j'avais mon premier engagement professionnel..."
C'était André Cazalas, pour Thyeste de Sénèque. Ensuite, Antoine Bourseiller, Laurent Terzieff, Jean Marais, Victor Lanoux ont été ses maîtres. Olivier Brunhes gagne toujours sa vie comme comédien, il écrit à ses heures, tourne des documentaires. C'est un artiste qui développe ses territoires avec modestie mais détermination. Et il cherche.
Il a travaillé avec Howard Buten auprès des autistes, travaillé également à ATD Quart-Monde. "Mais je ne voulais pas m'inscrire dans une démarche d'atelier. Je souhaitais autre chose." C'est alors, en septembre 2003, qu'on lui propose de travailler avec ce groupe, ces adultes handicapés mentaux, qui vivent rue des Papillons à Montreuil. Il les a rencontrés. Il a parlé avec eux. Et ceux qui sont là, depuis maintenant plus d'un an, sont ceux que vous pourrez applaudir en cette fin de semaine.
C'est la bonne humeur qui frappe lorsque l'on découvre Week-end de rêve, suite de saynettes très drôles et tracées d'un trait vif par des interprètes qui s'amusent. Il y a là, par-delà la chaleur de l'accueil, une jubilation palpable, quelque chose de gai et d'enjoué qui est du théâtre dans sa pureté première. On ne se sent pas indiscret car l'engagement de ces acteurs de très bonne foi et de si belle audace balaye toute timidité. Ils s'amusent. Ils savent parfaitement ce qu'ils font. C'est tous ensemble qu'ils ont écrit, ensemble qu'ils ont composé peu à peu cette évocation drôle, aérienne. Ils sont tous comme des papillons. Ils incarnent des personnages, disent leurs répliques, bougent. Tout à l'heure ils danseront avant de remonter dans l'autobus imaginaire que conduit Bernard... "Pas de souffrance, ici c'est essentiel. Mais le plaisir du jeu, du partage", constate Olivier Brunhes, ému. "Ce sont des acteurs très précis", souligne-t-il, admiratif. Plus tard, avec un auteur africain, le travail va se poursuivre pour Olivier Brunhes. Un thème, les mondes magiques. Et il y a de la magie lorsqu'on pousse la porte de la vaste salle où jouent ces acteurs extraordinaires. "Nous allons proposer également un spectacle sur le travail. Une petite forme, brève..." Et déjà Pierrot et ses amis, Alain, Patrick, Rachid, Virginie, François, Bernard, Didier, déjà ils sourient et rient et, on le sait, se projettent dans cette vie aussi légère que sérieuse - jouer !